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III. Les limites de ces pratiques sur les athlètes de haut niveau

 

 

A. Le plafonnement des records

 

    Une étude publiée fin 2007 par l’Institut de Recherche biomédicale et Epidémiologique du Sport considère que les limites de l’espèce humaine seront atteintes d’ici une génération !

Nous serions parvenus au bout des capacités physiologiques de l’Homme. Cette étude, menée par le professeur J.F Toussaint, directeur de l’IRMES se fonde sur l’examen de 3263 records du monde établis entre 1896 (reprise des JO modernes) et 2007 dans 5 sports : athlétisme, natation, cyclisme, patinage de vitesse et haltérophilie.

 

    Les athlètes sont des êtres limités par leur biologie et leur environnement même s’ils ont considérablement développé leur physique durant le XXe siècle. De fait, que pouvons-nous faire contre la gravité terrestre ? De même, les nageurs seront toujours freinés par la résistance de l’eau. Selon cette étude, nous sommes arrivés à une optimisation maximale du génome humain. Nous le voyons dans d’autres domaines comme la taille des individus et l’espérance de vie qui semble avoir atteint un maximum. La limite physiologique pourrait être liée à la résistance des matériaux de la structure humaine selon Jacques Quièvre, biomécanicien à l’INSEP.

Chez le sprinter, c’est l’ischio-jambier qui exploserait. Cela dit, il n’existe pas d’études de résistance musculaire. Pour un 100 m, les facteurs de limite sont mécaniques (résistance de l’air, frottements articulaires et musculaires) dans la phase de prise de vitesse puis physiologiques pour lutter contre la dégradation gestuelle et la décélération. Dans ce domaine, nous nous approchons des limites selon Philppe Deymié, médecin des équipes de France d’athlétisme mais rien ne dit que dans vingt ans, ces conditions n’auront pas progressé au niveau de l’alimentation, de nos modes de vie, des thérapies géniques.

 

 

    Différentes courbes font apparaître une rapide progression des records de 1896 à 1968, puis un net ralentissement (2 pauses durant les 2 Guerres Mondiales). Depuis 1968, la régression est très importante en dépit des progrès matériels considérables. La moitié des records auront atteint 99,95% de leurs limites en 2027. En 2060, ce sera la fin définitive des records sauf si on va vers l’enregistrement de l’infiniment petit (vitesse, poids, hauteur...) par les appareils de mesure.

 Selon J.F. Toussaint, il reste improbable qu’un homme sur ses 2 pieds, court le 100m en 9 secondes. Les marges sont de plus en plus réduites selon Jacques Quièvre de l’INSEP mais on est surtout dans le ressenti et pas dans l’expertise scientifique.

Le sprinter jamaïcain Asafa Powell, ex-recordman du 100m, raconte : « chaque fois que je fais un gros chrono, mon corps devient bizarre, mes jambes très douloureuses (coups de couteau).Le jour où j’atteindrai ma limite, mon corps ne le supportera pas. » Selon Ph. Deymié : on n’est jamais loin de la blessure dans le franchissement d’un record.

 

 

 

    Aux championnats du monde de natation en 2009, il ya eu un record du nombre de records battus : plus d’une trentaine. En fait, même si les nageurs sont détectés de plus en plus tôt, même s’ils profitent de programmes sur mesure... ils ont profité du dopage « technologique » avec les nouvelles combinaisons.  Certaines de ces combinaisons sont d’ailleurs devenues interdites.

En effet, la Fédération internationale de natation a interdit en 2010 les combinaisons en polyuréthane car il y avait des débordements (combinaisons trafiquée/ non homologuée) depuis plusieurs mois auparavant.

 

 

 

   Les records dans toutes les disciplines sont de plus en plus ténus. On est passé de quelques secondes gagnées il y a 30 ans à quelques dixièmes puis à quelques millièmes aujourd’hui. Le corps a ses lois biologiques et biomécaniques.

On aura beau peaufiner l’entraînement, les régimes alimentaires, les matériels (chaussures, combi, perche, revêtement du sol...), il y aura toujours des limites.

 

   En athlétisme, quand un sprinter court ses jambes ne vont pas à la même vitesse. Un pied est au sol, propulsant le corps vers l’avant tandis que l’autre pied revient vers l’avant à une vitesse double de celle du coureur. Cette vitesse retour limite a été fixée par des savants à 13,5m par seconde.

 

Aujourd’hui, les meilleurs athlètes atteignent 12m/s. Il y a donc une petite marge de progression. Selon ces principes, des études fixent une limite théorique de saut en longueur aux environs de 10m (8,95 aujourd’hui). Selon JC. Pineau, chercheur au CNRS, les limites aux records sont bien réelles : 9,6 secondes au 100m ! 2h03 au marathon... Le saut en hauteur et le saut en longueur sont même bloqués par une barrière infranchissable : au-delà de 2,50m pour le 1ER et de 9m pour le second, la force d’impulsion au moment de l’appel briserait le col du fémur de l’athlète.

 

 

 

 

 

 

    B.Les blessures physiques et morales des athlètes

 

 

 

 

    Le fait de se blesser est ce que redoute le plus un sportif, encore plus un athlète de haut niveau, avec le fait de ne plus pouvoir pratiquer sa discipline comme avant.

Il y a différents types de blessures :

  • La blessure musculaire (crampe, courbature, contusion, élongation)

  • La blessure ligamentaire (entorse, tendinite,)

  • La blessure articulaire (luxation)

  • La blessure osseuse (fracture)

 

    Les causes de ces blessures sont de deux catégories : le facteur de risque interne, le facteur de risque externe (environnementaux). Le niveau de stress est étroitement lié avec les blessures, comme exemple la perte d’attention et de concentration, la tension musculaire accrue ou encore les exigences et les contraintes de l'environnement.

    Les risques du dopage sont également importants, puisque l’Inserm a recensé 800 morts subites dont le principal suspect est le dopage. Les conséquences du dopage sont essentiellement des effets secondaire de type cardiovasculaire, tumorale (foie, prostate), hormonale et génitale (stérilité, impuissance)

    La souffrance physique ou morale est le lot de très nombreux sportifs. La dépression, les séquelles du dopage, la surmédicalisation ou encore l’apparition de maladies professionnelles dans plusieurs disciplines. Les médias et le fédérations sportives n’évoquent pas ces thèmes tabous de la souffrance, comme s’il fallait à tout prix préserver l’image lisse de la grande fête du sport.

 

Pourtant les exemples sont nombreux :

   Laurent Brochard, ancien champion cycliste qui peine à rebondir, Kyle Turley, footballeur américain atteint comme des milliers d’autres d'une maladie neuro-dégénérative, Jutta Gottschalk, ex-nageuse est-allemande dopée qui a donné naissance à une fille infirme, ou Maurizio Vasino, footballeur qui perd peu à peu l’usage de ses membres, apparaissent ici comme autant de gladiateurs modernes, victimes du "sport système".

 

Il existe des risques liés au sport spécifique chez les femmes. C’est « la triade de l’athlète » pour la femme sportive : anorexie (maladie mentale où la femme refuse de se nourrir), aménorrhée (absence de règles ou menstruation), ostéoporose (fragilité du squelette). Le point de départ est un déséquilibre alimentaire : une insuffisance en énergie et trop de dépenses liées à l’exercice. Cette restriction engendre des hormones hypothalamiques telles que la LH engendrant l’absence de sécrétions d’oestrogéniques qui augmente les risques d’une ostéoporose précoce. Entre 34 et 79% des danseuses de ballet sont concernées par l’aménorrhée.

 

 

 

    La fin de carrière des sportifs de haut niveau est peu évoquée. Quasiment aucun athlète n’échappe à l’épuisement physique après avoir surexploité son corps quand il était au plus haut niveau. Les troubles psychiques comme les dépressions sont plus fréquents chez les athlètes en pleine carrière, car aujourd’hui, ils sont soumis à une pression extrêmement forte.


    Gunter A. Pilz est professeur honoraire à l’Institut des sciences du sport de l’université de Hanovre et, outre-Rhin, l’un des plus éminents spécialistes des supporters. Il répond à cette question :

Pourquoi beaucoup d’athlètes laissent-ils les choses en arriver là ?

Chez les athlètes de haut niveau, on parle de « piège biographique » pour qualifier l’instant T dans leur carrière où il est clair que « si je continue comme ça, je sais que je mets ma santé en danger ». À ce stade, la probabilité qu’ils disent ‘stop’ est extrêmement faible, car ils ont déjà énormément investi. Il est quasiment impossible de mettre rationnellement un terme à sa carrière quand on se dit que l’on peut encore gagner beaucoup d’argent et flirter avec la gloire. Le sportif pense : « Je n’ai pas d’autre choix, je dois continuer ».

 

 

 

 

 

 

     C. La science n’a pas dit son dernier mot

 

 

     Il existe une controverse concernant les limites aux records des athlètes. Certains scientifiques sont réservés face à aux résultats purement statistiques. Ainsi, le professeur Véronique Billat, directrice du Laboratoire d’étude de la physiologie de l’exercice, estime qu’il faudrait isoler chaque facteur de performance et voir quelle est sa marge de progression.

   Pour Guy Ontanon, ancien entraîneur de Christine Arron, on peut progresser dans tous les domaines : entraînement, muscle, technologie, nutritionnel, récupération, mental, technique. Si beaucoup de records semblent liés au dopage, les spécialistes décèlent des marges de progression. Les méthodes d’entraînement restent empiriques. La mondialisation du recrutement des athlètes va augmenter.

Le facteur économique permet de se consacrer aujourd’hui à temps plein à sa discipline. L’apport de la science va permettre de mieux savoir ce qui se passe pendant l’effort. V. Billat affirme que l’on peut améliorer d’environ 40% les performances actuelles. Le dopage a peut-être déjà permis de les gonfler artificiellement de 30%.

 

    Selon Tim Noakes, physiologiste du sport Sud-africain, seul le cerveau peut forcer notre organisme à dépasser ses limites. La force du mental pourrait l’emporter sur l’empire des muscles. Selon un étudiant chinois de l’Institut de culture physique à Pékin (années 1980), les performances sportives pourront être améliorées aussi longtemps que les athlètes auront l’envie de réussir.

 

Les records sont les produits d’un système complexe associant le social, le biologique, le psychologique, le matériel et le personnel. Les études sur le génie génétique vont devenir primordiales pour la sélection des champions et pour leur entraînement.

    On conçoit aisément que chaque discipline sportive nécessite des qualités différentes, liées à des caractères génétiques portant sur la taille, les fibres musculaires, le métabolisme, la psychologie, etc. Les chercheurs ont déjà identifié plusieurs gènes associés à la performance sportive. Par exemple, la vitesse de course implique notamment le gène acnt3, qui joue sur l'ancrage des filaments d'actine aux stries z du sarcomère (l'unité de base des microfibrilles dont sont constitués les muscles squelettiques).

    De nombreuses recherches à travers le monde suggèrent que des variations existent dans l'expression du gène vegf (de l'anglais Vascular Endothelial Growth Factor) à l'origine du facteur de croissance de l'endothélium vasculaire. Ce facteur de croissance qui circule dans le sang favorise l'angiogenèse, c'est-à-dire la croissance des vaisseaux sanguins et donc la croissance tissulaire, ce qui semble particulièrement important pour une récupération rapide des muscles et des tendons après les entraînements de plus en plus intenses.

 

 

 

 

    Récemment, le gène hfe dont l'expression produit la protéine hfe (pour Human Hemochromatosis Protein), qui régule le métabolisme du fer et facilite le transport de l'oxygène, a été l'objet de recherches : les mutations de ce gène seraient plus fréquentes chez certains athlètes de haut niveau pratiquant des sports énergivores. Repérables, ces mutations influencent favorablement la performance.

 

    En plus des aptitudes héréditaires, de sa formation sportive, l’athlète dépend du lieu, du temps, du stade, des arbitres, du public... : c’est un concours de circonstances qui conduit au record. Il faut donc viser une amélioration dans la coordination des différents facteurs. Selon l’auteur, le niveau de développement des sociétés est crucial dans la progression sportive. Il estime que les moyens pour progresser sont inépuisables et que l’amélioration de la performance est illimitée. Aussi longtemps que l’Homme existera, il continuera de se modifier et de progresser.

 

    Pour l’entraînement, les ressources humaines, matérielles et financières dépendent du niveau économique, scientifique et culturel des sociétés. Enfin, le sport est cadré par des règlements stricts et rien ne dit que ces règles ne vont pas évoluer avec l’évolution des sociétés.

 

Sa conclusion est que si l’idée d’une limite des records est séduisante en théorie, en pratique, le franchissement d’un record réunit trop d’impondérables pour ne pas affirmer que l’amélioration des performances reste illimitée. La science pourrait permettre de mieux savoir ce qui se passe pendant l’effort. Il y a également l’évolution du matériel. Oscar Pistorius, amputé des 2 jambes, pourrait, à partir de ses prothèses, donner des idées aux fabricants de chaussures.

 

Le Dr Eric Bouvat a suivi les performances d’un marathonien à Paris. Au vu des efforts consentis par son organisme, il a noté des ressources mentales hors du commun qui ont fait mentir les « lois » établies par la Faculté (rapport entre performance et déperdition pondérale). De même, selon son coach, Michael Johnson (record du 400m), durant les JO d’Atlanta, se mettait dans des dispositions psychologiques particulières et finissait par courir comme si sa vie en dépendait !

 

 

    D. Des limites ? Un constat mitigé.

 

 

     Certains pensent que le temps est fini où une innovation technologique révolutionnait une discipline, comme la perche en fibre de verre au début des années 60. Les progrès engendrés s’enregistrent aujourd’hui au centième de seconde et au millimètre. L’entraîneur de M.J. Pérec, J. Piasenta, raconte que son athlète avait gagné 3 centièmes de seconde en tirant ses cheveux en arrière. De même, les nageurs se rasent les poils des membres pour favoriser l’hydrodynamisme.

 

      A Atlanta, le bassin olympique a été équipé d’un système de pompage électronique pour absorber les vagues des nageurs et l’eau a été surdosée en potasse pour faciliter la glisse. La piste d’athlétisme, avec une seule couche de résine sur le béton, donne aux athlètes l’impression de courir sur du parquet. Les performances sont meilleures mais les blessures plus fréquentes.

De fait, les charges d’entraînement sont de plus en plus lourdes ce qui amène le docteur Bouvat à constater que, sur un an, 85% des athlètes français se sont blessés (un sur dix s’est fait opérer). La fracture du sacrum (pathologie plutôt réservée aux personnes de plus de 80ans) se répand, du fait de la répétition des chocs musculaires.

 

     Concernant la question de la part de l’inné et de l’acquis, on peut se demander pourquoi les athlètes noirs américains dominent le sprint, les Maghrébins le demi-fond et les Africains noirs les épreuves d’endurance. On a pu avancer des raisons physiologiques : les fibres musculaires « rapides » des uns, le bassin plus étroit des autres... mais en fait, rien n’est prouvé. Par contre, les facteurs culturels sont déterminants : les épreuves de sprint sont les épreuves reines et les plus lucratives aux Etats-Unis ; les enfants d’Afrique noire peuvent avoir à courir plusieurs kilomètres pour se rendre à l’école...

 

     La précision gestuelle est aussi déterminante pour progresser. Ainsi Sergueï Bubka a travaillé avec une extrême précision son « piqué » dans le butoir de saut. C’est peut-être ce qui explique qu’aujourd’hui ses performances sont encore loin d’être égalées. Le champion de triple-saut Jonathan Edwards avait un secret pour battre les records : un angle de décollage à 17% (au lieu de 22% en moyenne chez ses concurrents). Il était celui qui parvenait le mieux à transformer sa vitesse de course en longueur de  saut. Enfin, le nageur Alexandre Popov, après analyses-vidéo, savait respecter durant toute sa course (record du 100m nage libre) le roulis des épaules, la hauteur de son coude, la distance qui sépare son poignet de sa tête.

 

    Le dopage fausse la progression des records. Ainsi, certaines athlètes d’Allemagne de l’est par exemple ont mis la barre très haut : Marita Koch a le record du 400m depuis 1985 et laisse M.J. Pérec à 10m derrière elle. Sur cette distance, les athlètes de l’ex-RDA trustent les meilleurs chronos. Les stéroïdes anabolisants, facilement détectables, ont laissé la place, notamment à l’EPO qui agit sur la production de globules rouges et donc sur la capacité d’emmagasiner de l’oxygène. On parle aussi d’autotransfusion sanguine ! Le récent déclassement du cycliste Contador et Armstrong du palmarès du Tour de France montre que le dopage reste un des moyens, coûteux et dangereux de repousser les limites.

Laissons, pour finir, la parole à Michael Johnson qui, interrogé une fois de plus sur ses propres limites, affirmait : « bah, si on connaissait à l’avance le jour de sa mort, ça ne servirait plus à rien de vivre ».

 

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